IMMOLATIONS AU TIBET – LA HONTE DU MONDE
« Voici un livre dense et tragique », écrit dans sa préface Robert Badinter. Il poursuit : « Ce que les flammes qui les brûlent proclament, c’est qu’ils ne peuvent plus supporter l’agression commise contre leur peuple, l’éradication de ses coutumes et de sa langue, le génocide culturel auxquels, dans le lâche silence des États, les autorités chinoises se livrent au Tibet. »
Ce texte, où la rigueur glaçante des « détails » tient souvent lieu d’émotion, rappelle La Question d’Henri Alleg, rédigée en 1958, en pleine guerre d’Algérie, pour dénoncer la torture perpétrée par l’armée française. Depuis 1959, le Tibet, annexé par la Chine au mépris du droit international, a vu une répression féroce s’abattre sur lui, sa capitale Lhassa devenant « un ghetto sous occupation nazie ». Entravés dans toutes leurs manifestations collectives, ces résistants de l’esprit n’ont plus que ce moyen de protestation : l’auto-immolation, la seule violence qui leur paraisse concevable, celle dirigée contre soi-même. Ni attentats ni terrorisme, mais en vérité la non-violence portée à son paroxysme, son incandescence.
S. C. / J.-P. B.
L’Auteur : Née en 1966 à Lhassa, Tsering Woeser, poétesse tibétaine, vit aujourd’hui à Pékin sous haute surveillance. Elle a reçu en 2013 le Prix international des femmes de courage du Département d’État américain. Elle est l’auteure, entre autres, de Mémoire interdite,Témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet, publié en France par Bleu de Chine, Gallimard, 2010.
Ce texte, où la rigueur glaçante des « détails » tient souvent lieu d’émotion, rappelle La Question d’Henri Alleg, rédigée en 1958, en pleine guerre d’Algérie, pour dénoncer la torture perpétrée par l’armée française. Depuis 1959, le Tibet, annexé par la Chine au mépris du droit international, a vu une répression féroce s’abattre sur lui, sa capitale Lhassa devenant « un ghetto sous occupation nazie ». Entravés dans toutes leurs manifestations collectives, ces résistants de l’esprit n’ont plus que ce moyen de protestation : l’auto-immolation, la seule violence qui leur paraisse concevable, celle dirigée contre soi-même. Ni attentats ni terrorisme, mais en vérité la non-violence portée à son paroxysme, son incandescence.
S. C. / J.-P. B.
L’Auteur : Née en 1966 à Lhassa, Tsering Woeser, poétesse tibétaine, vit aujourd’hui à Pékin sous haute surveillance. Elle a reçu en 2013 le Prix international des femmes de courage du Département d’État américain. Elle est l’auteure, entre autres, de Mémoire interdite,Témoignages sur la Révolution culturelle au Tibet, publié en France par Bleu de Chine, Gallimard, 2010.
La couverture : elle est l’œuvre de l’artiste chinois Ai Weiwei qui a voulu que les noms des immolés tibétains figurant sur la couverture soient vernis et estampés au fer chaud de manière à se révéler sous l’effet de la lumière. Ils sont ainsi, symboliquement dans ce livre, présents et absents, comme ils le sont dans les consciences de tous ceux que cette tragédie affecte. Né en 1957 à Pékin, Ai Weiwei, sculpteur, photographe, architecte, performer, blogueur, lui aussi en liberté conditionnelle, est un des artistes majeurs de la scène artistique indépendante chinoise.
Immolations au Tibet La Honte du monde, par Tsering Woeser, en librairie le 17 octobre 2013, 48 pp, 5€
TSERING WOESER INTERVIEWÉE PAR THE GUARDIAN
Dans une interview téléphonique, le journaliste Jonathan Kaiman a demandé à Tsering Woeser les raisons de ce nouveau livre Immolations au Tibet La Honte du monde.
Elle répondait : « Je pense que les immolations sont bouleversantes. Pourtant les gens se taisent. Pourquoi se taisent-ils ? » La censure chinoise n’explique pas tout. « Dans beaucoup de lieux -même en Chine- les gens savent, mais ne s’y intéressent pas vraiment. Dans ce livre, je veux écrire le pourquoi des immolations – pour aider les gens à comprendre, pour briser le silence. »
Elle répondait : « Je pense que les immolations sont bouleversantes. Pourtant les gens se taisent. Pourquoi se taisent-ils ? » La censure chinoise n’explique pas tout. « Dans beaucoup de lieux -même en Chine- les gens savent, mais ne s’y intéressent pas vraiment. Dans ce livre, je veux écrire le pourquoi des immolations – pour aider les gens à comprendre, pour briser le silence. »
Elle veut démontrer que ces auto-immolations ne sont pas le suicide de désespérés, mais un acte de courage non-violent, de « radicalisation de la lutte pacifique » dans un contexte de censure qui interdit toute forme de protestation collective et rend inaudibles les protestations individuelles. Parce que « cette douleur extrême, insupportable pour la plupart des gens, est aux yeux des immolés la plus puissante forme de protestation qui puisse exister pour conquérir leur dignité ».
Interrogée sur le danger que représente ce livre pour elle-même, déjà sous haute surveillance en Chine et régulièrement placée en résidence surveillée, elle répond : « Leur courage me donne du courage. »
Lire l’article (en anglais) paru dans The Gardian : Tibet self-immolations: Tsering Woeser and Ai Weiwei collaborate on book
LHASSA, COMME UN GHETTO AU TEMPS DES NAZIS
Symbole du joug qui pèse sur les épaules du peuple tibétain, la ville de Lhassa est aujourd’hui une capitale interdite à son peuple et transformée, à un rythme accéléré, en « vulgaire attraction pour les touristes ». Dans son blog, Tsering Woeser publiait dernièrement un article* intitulé : « Notre Lhassa sera bientôt complètement détruite ! Sauvons Lhassa ! » Cet article fait écho à son livre Immolations au Tibet. La Honte du monde qui sort en librairie demain 17 octobre 2013, un texte « dense et tragique » dans lequel la poétesse tibétaine affirme : « Ce sont les méthodes de ségrégations raciales employées par le gouvernement chinois pour enquêter, éliminer et contrôler les Tibétains qui sont à l’origine des immolations. Celles-ci ne cesseront pas tant que ces méthodes continueront à être employées. »
Malgré son palais du Potala, son temple de Jokhang et son Norbulingka, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, Lhassa subit une transformation radicale. Andre Alexander, un allemand fondateur du Tibetan Heritage Fund (THF) déclarait ainsi : « Depuis 1993, 35 bâtiments historiques ont été détruits en moyenne chaque année. Si ce rythme se maintient, le reste des bâtiments historiques aura disparu d’ici quatre ans. »
Sous prétexte « de nettoyer, de dégager, de transformer et de moderniser », les autorités avides de gains -Lhassa est une véritable manne touristique à exploiter au maximum- n’hésitent pas à déplacer les habitants, à raser des quartiers pour construire des places monumentales ou des centres commerciaux, à pomper massivement les eaux souterraines pour créer des parkings. Tsering Woeser écrit dans son blog : « Un désastre après l’autre, Lhassa chute dans une décadence tragique. Historiquement, Lhassa n’avait jamais connu de désastres miniers, et maintenant de tels accidents se produisent. Historiquement, la rivière de Lhassa ne s’était jamais asséchée, et maintenant le lit de la rivière s’assèche, faisant mourir les poissons. Historiquement, la vieille ville de Lhassa n’a jamais été une vulgaire attraction pour les touristes, et maintenant elle s’est transformée en une rue touristique telle qu’on en trouve à Shangri-La et à Lijiang. Est-ce que, prochainement, on nous obligera à acheter un billet d’entrée pour pénétrer dans cette version parodique de la Vieille ville de Lhassa ? »
Cette destruction est menée tambours battant : « [Lhassa] disparaît encore plus vite que les autres endroits ; elle est submergée encore plus vite que les autres endroits. » Pourtant, c’est tout le Tibet qui subit un assaut fatal, nous rappelle Tsering qui déplore le silence qui entoure ces actes prédateurs. Elle constate : « Il y a quarante ans, lors de l’adoption de la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, l’UNESCO déclara que, quel que soit le pays auquel ils appartiennent, certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité tout entière, la dégradation ou la disparition d’un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde, et ces biens doivent donc être communément protégés par l’humanité. »
Associant « maintien de la stabilité » à réaménagement, les autorités ont saisi le prétexte des immolations pour renvoyer les Tibétains originaires d’autres régions (moines, étudiants, commerçants…) et restreindre drastiquement l’accès à la cité. « Aujourd’hui, déplore Tsering, devant le temple de Jokhang ayant traversé les âges, les pèlerins en provenance des lointaines régions de l’Amdo et du Kang ne viennent plus se prosterner et les chambres qui auparavant étaient remplies des milliers de lampes à beurre jour après jour sont désormais vides. » Alors que les Chinois entrent dans la ville sur présentation d’une simple pièce d’identité, les Tibétains doivent présenter cinq documents, dont certains pratiquement impossibles à obtenir par le seul fait d’être Tibétain et donc, de constituer un « danger potentiel » pour l’ordre public. « Ces restrictions [...] ont commencé à modifier le rôle que jouait la ville depuis plus de mille ans dans la vie des Tibétains. [Ils] se voient privés de liens vivants avec leur histoire », écrivaient une centaine de tibétologues de toutes nationalités dans une lettre ouverte adressée au président chinois et à l’UNESCO.
Outre cet article qui appelle à une mobilisation urgente pour « Sauver Lhassa ! », patrimoine de l’humanité et cœur du Tibet, Tsering Woeser développe son propos dans son livre où elle cite cette phrase d’un jeune tibétain qui circule sur la Toile : « Comme disaient les juifs portant sur leur poitrine l’étoile à six branches : nous sommes sans défense, le monde est vaste, mais personne ne se dresse en notre faveur. » Pourtant, déjà en 1970, l’ONU condamnait l’apartheid en Afrique du Sud, considérant la ségrégation raciale comme « un crime envers la conscience et la dignité humaine ». Au regard de l’histoire, ce que vivent les Tibétains ne peut être toléré. Leur résistance non violente, dont les immolations sont la part « la plus visible » en dépit de la censure exercée par le pouvoir, ne pourra prendre fin qu’avec le respect de leurs droits fondamentaux. Jusqu’à quand ? Puisque comme l’a bien noté Tsering Woeser reprenant les propos d’un article du Times Magazine, la puissance du gouvernement chinois a fait qu’en 2011 les immolations de Tibétains ont été l’une des informations les moins médiatisée. Mais aussi en 2012, en 2013 ? Et en 2014 ?
*Lire l’article de Tsering Woeser traduit en français sur Le Tibet invisible
【转自:Indigène éditions出版社网站http://www.indigene-editions.fr/】
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